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Hervé Paluche
3 juillet 2008

"Le corps humain se recharge comme une pile"

172494410_3d52a690e0Pina Bausch s'adresse au subconscient.

"Ces souvenirs d'enfance sont vagues, je les ai oubliés. Ils reviennent pourtant dans mon travail. Je passe ma vie à essayer de donner une forme à ces émotions enfouies, évanouies."
" On voudrait offrir à chacun la possibilité de voir ce qu'il y a de beau dans le réel de nos vies, confie- t-elle, car cette richesse est partout présente. "
Grande timide qui ne se soigne pas, Pina transforme l'interview en entretien contradictoire. Tout ce que vous dites sur son travail se retournera contre vous. Ennemie du sens univoque, elle répond aux questions par d'autres questions. Ou démontera systématiquement, le plus souvent avec le sourire, parfois agacée, tout ce que vous croyez avoir compris.
"La joie est la meilleure solution"
Est-ce du théâtre, de la danse, de la musique ? Est-ce du music-hall, de la comédie musicale ? Est-ce de la tragédie burlesque ou antique ? C'est du Pina Bausch. Une forme qu'elle a inventée. Avec une sophistication radicale, empruntant souvent au cinéma ses techniques de montage. Elle a compris avant tout le monde, et bien avant les DJ, qu'il fallait tout mixer pour espérer attraper un peu de la réalité du monde et des hommes. Un spectacle de Pina Bausch est la mondialisation à l'œuvre, bien avant que les économistes n'aient que ce mot-là à la bouche. Mais chez elle, la mondialisation passe par l'attention que les hommes, tous les hommes, se porteraient les uns aux autres. Etre artiste est une utopie. Un acte d'amour.

Figure archétypale, moins fréquente cependant que celle de la femme victime ou encore de la femme maternelle. La femme maîtresse, qui n'est pas une maîtresse femme, peut aussi être une hystérique ou une vamp, les deux parfois, ce qui complique terriblement l'affaire. Le fouet caché dans la voix  Personnage nourri de celui de la maîtresse de ballet et de sa baguette qui corrige les mauvaises postures. Qui aime bien châtie bien.

OBSESSION

Celle de Pina à se méfier de tout ce qui peut s'apparenter à un discours. Elle sait où les certitudes idéologiques ont conduit son pays. Elle n'a rien de l'artiste engagé au sens français du terme, pas de thèse chez elle, ni de dénouement prévisible, de morale du Bien, du Mal. Pas de compagnons de route, ni de politiquement correct… Son engagement à elle est d'une autre nature. C'est un engagement de tout son être, à la fois physique, mental, intellectuel et émotionnel. Avec pour principe de base : ne rien savoir à l'avance du processus de création dans lequel elle s'engage. Elle bâtit des fragments d'histoires et de danse au fur et à mesure que les interprètes de sa compagnie répondent par des improvisations aux questions qu'elle leur pose. Rien n'est écrit à l'avance. Tout part du vivant. Tout commence avec un homme et une femme : la violence, l'amour, la lâcheté, le courage. Elle ne croit qu'au détail qui dit tout. A la banalité. A la micro-histoire.

RIRE

Mot à haute teneur dialectique. La cruauté fait rire. Et tout ce qui fait rire n'est pas forcément drôle. Surtout si on se réfère à sa période sombre, tourmentée, celle qui court jusqu'aux années 1990. Ensuite, face à la première guerre du Golfe, en 1991 (qui l'affecte énormément), à la crise économique, à la pauvreté croissante, jugeant qu'il serait irresponsable de surenchérir sur le malheur, la chorégraphe change son angle d'attaque. Au-delà du malheur, elle veut montrer la beauté des hommes et des femmes. A commencer par celle de ses danseurs. Désormais, dans son théâtre dansé, la danse prend le dessus. A contre-courant des jeunes générations, Pina Bausch affirme la force, le pouvoir médiumnique de la danse (voir Transe).

SEX-APPEAL

Pina Bausch est une chorégraphe d'hommes. Avec une poigne de femme. Elle montre d'eux quelque chose qui n'a rien à voir avec leur part féminine, tarte à la crème des magazines psy, quelque chose d'infiniment plus subtil et sensuel, comme un effluve, qui voyage au-delà des genres et des chromosomes. Ils dansent au-delà de ce qu'ils sont, au-delà de leurs rêves, irrésistibles.

Chaque danseur invente son propre rituel qui signe une sorte de carte d'identité, son ADN
Une des préoccupations majeures de la chorégraphe étant d'observer les comportements du groupe face à l'individu, souvent l'exclu, le bouc émissaire.

Pina Bausch n'aime que ce qu'elle ne connaît pas, les cultures, les habitudes, les chants, les danses, les cabarets, les bars, les travestis, la nuit. Etre surprise, apprendre. Etre aimé, aimer. Après trois semaines de résidence au cours desquelles elle et ses danseurs ont récolté une masse énorme d'informations, Pina Bausch a besoin d'être chez elle pour examiner la collecte et jeter tout ce qui ne résiste pas à la lumière du retour. "Plus de 95 %", dit-elle.

YEUX

Les yeux de Pina Bausch sont bleus. Quand elle salue, ils sont graves, émus, ils interrogent le public par en dessous. Ils cherchent à ne pas douter. Ces ovations debout qui lui font fête, ne sont-elles pas devenues une habitude ? L'amour du public est-il à ce point vrai ? Quand Pina Bausch rit, le bleu de ses yeux se fait malicieux, mais peut afficher brutalement une ironie glaçante.

Tout ce qui est étranger concerne Pina Bausch

En découvrant la beauté du cirque équestre Zingaro, Pina Bausch a demandé à Bartabas, directeur de la compagnie, de l'initier au cheval : "Je n'avais jamais de ma vie approché un tel animal. J'avais peur d'une morsure ou d'un coup de sabot. Parmi ses bêtes, Bartabas a cherché celle qui pouvait s'entendre avec moi. Mon manque total d'expérience l'intéressait. Il voulait observer comment nos deux énergies se combinaient. Ces nuits passées avec le cheval s'apparentent pour moi à un conte de fées."  Les animaux sont l'avenir de l'homme.

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